Le jeu de la mort/ Faut-il avoir peur de la mort ? / Pourquoi craindre la mort ?

«On n'a pas peur de la mort, on la craint. Pourquoi ? Parce que la crainte n'est pas la peur. La peur a un objet identifié, elle est consciente de ce pourquoi elle existe, tandis que la crainte n'a pas d'objet, son sentiment n'existe justement, que parce qu'il n'est pas certain de l'existence de son objet. Autrement dit, on ne peut dire que l'on a peur d'une chose, que si on la connaît, que l'on peut expliquer son sentiment. Quelqu'un peut dire qu'il a «peur» de la violence d'un autre, parce qu'il connaît cette violence. Il dira au contraire qu'il «craint» quelqu'un d'autre, parce qu'il n'est pas certain de ce qu'il est, il n'a aucune idée de s'il est violent ou non. Alors, nul n'a peur de la mort, chacun la craint. 
Mais pourquoi craindre la mort ? Le problème, c'est qu'il est plus rationnel d'avoir peur que de craindre, parce qu'on n'est pas censé être perturbé par une chose que l'on ne connaît pas. Si on ne connaît pas une chose, c'est soit qu'elle n'existe pas, soit qu'elle n'a rien à voir avec soi. Si ces propos sont vrais, alors, on ne craint pas la mort en elle-même, on craint en premier lieu, l'instant. On n'a donc pas peur de la mort d'abord, mais peur de «mourir», car on associe l'instant de la mort à la souffrance. Nul n'est censé aimer souffrir, alors nul n'est censé aimer la mort non plus. Ceci est le premier degré de crainte de la mort, que l'on peut qualifier de «mort brute», cela consiste à s'imaginer en train de «partir». 
Le second degré quant à lui, est la crainte du posthume, c'est-à-dire de ce qu'il y a hypothétiquement après la mort. Il s'agit d'un héritage de la culture religieuse en général, qui adhère à l'immortalité de l'âme, et à l'existence d'un Dieu, d'un paradis et d'un enfer. On craint alors la sanction divine, et l'idée de ne pas accéder au paradis. 
Enfin, il y a en troisième lieu, la mort d'autrui : qui, elle désigne la crainte de l'absence de l'autre. Elle résulte du désir que la présence de l'autre soit infinie. Si l'on craint que l'autre meurt, c'est qu'on le pense indispensable à notre propre vie, en sorte que, sa mort, devient la sienne propre, d'où la souffrance et la crainte. Crainte, parce que tant qu'autrui n'est pas mort, on ne sait pas ce que sa mort est susceptible de provoquer en soi.  
Le second degré est injustifié : on ne peut pas craindre la mort, tout en sachant ce qui se cache derrière. Si l'on est convaincu que le jugement dernier suit la mort, alors, on ne craint plus le posthume dans la mesure où on le connaît : on a donc «peur de la mort». De même, craindre Dieu, est paradoxal si l'on pense le connaître comme certains le prétendent : si l'on connaît Dieu parce qu'on y croit, là encore, on ne le craint pas, on en a peur. 
Mais si personne n'est en mesure de connaître ou de démontrer le fait qu'il se passe bien quelque chose après la mort, alors nul ne devrait ressentir quoique ce soit vis-à-vis d'elle. La seule mort dont la crainte soit justifiée est la mort des autres, puisque c'est la seule dont on peut se faire une idée concrète, ou que l'on peut vivre. Mais au fond, ce qui fait souffrir, ce n'est pas que les autres soient morts, c'est qu'ils ne meurent jamais tout à fait : ils continuent à hanter la mémoire. La mémoire fait souffrir, la mort n'est qu'un fait. 
Mais, jusqu'à preuve du contraire, on ne vit pas sa propre mort. Ce qu'on vit, c'est l'agonie de la mort brute. Lorsque l'on disparaît, il n'y a plus rien car on ne pense plus. Quand Descartes disait, «je pense dons je suis», il n'exprimait rien d'autre que ceci : je ne suis en vie que si j'ai conscience de penser, et je suis au contraire mort, si je n'ai plus conscience de rien. On peut donc concevoir la mort comme une perte de connaissance éternelle. Qui a déjà perdu connaissance a déjà vécu la mort : il ne se souvient plus de ce qu'il se passait durant son absence à lui-même.
Épicure disait que la mort n'était rien pour les vivants, puisque les vivants éprouvaient des sensations et que les morts n'éprouvaient plus rien. On peut donc être d'accord avec lui et dire que la mort n'est pas à craindre puisqu'elle est justement absence de crainte en tant qu'elle est absence de sentiment justement.
On peut alors juger irrationnelle la peur et la crainte de la mort. Celui qui a peur de la mort, est semblable à un nouveau né qui aurait peur de naître : il effectue l'impossible, puisque le nouveau né ne peut pas avoir peur de naître tant qu'il n'est pas né, car il ne connaît encore rien en ce qui concerne le fait d'exister. Et celui qui la craint, est comme un enfant qui est effrayé à l'idée d'ingurgiter un médicament qu'il n'a jamais goûté, mais à qui il attribue par avance, un goût déplaisant : il est dans l'erreur.  Pourquoi craindre la mort alors, sinon par ignorance et par excès d'imagination et/ou de fanatisme ?»

Johan Banzouzi

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