L'éthique à Charlie/Du rire aux larmes.

Quelques regrettées victimes de l'attentat
     Tous les hommes sont désolés, nul ne peut ne pas être triste face à des événements comme ceux là. Mais tout le monde ne peut pas prétendre «être Charlie» seulement aujourd'hui, c'est-à-dire maintenant que le mal est fait et que la situation est irréversible. Etre Charlie, signifie à l'heure actuelle, se lever contre l’extrémisme religieux, éprouver de la compassion pour les disparus ainsi que leur familles. Comme s'il n'y avait qu'aujourd'hui que cela dérangeait. La question qui se pose, c'est pourquoi attendre que de tels actes se produisent pour décider d'agir ? Pourquoi les hommes attendent-t-ils toujours que le pire arrive pour enfin désirer le meilleur ? Mais ce n'est pas tout, puisque ce qui est d'autant plus choquant, est de voir toutes ces voix élevées au nom de la liberté d'expression. Liberté même que certains d'entre eux niaient lors de l'affaire Dieudonné.

Dieudonné
     Il ne s'agit pas d'affirmer que Dieudonné agissait de bonne manière, mais tout simplement que, la justice, si elle est, doit être universelle. On reprochait à Dieudonné d'exprimer des propos que l'on qualifiait «d'antisémites», et rappelons-le, Dieudonné, les exprimait dans le cadre de ses spectacle comiques, donc de son métier, tout comme, les défunts de Charlie hebdo, ironisaient sur des réalités religieuses dans le cadre de leur métier. Quelle est la différence entre ces deux agissements ? Certains affirment qu'elle réside en l'histoire ; car la France a collaboré et contribué à l’assassinat d'énormément de juifs durant la seconde guerre mondiale. Mais pourquoi faut-il qu'un peuple ait souffert pour être respecté ? Tous les peuples ont soufferts, et chacun est apte à souffrir du manque de respect envers ce qu'il vénère. Or, le fait est que l'Etat a su réagir immédiatement après les plaintes de certaines personnes quant aux propos de Dieudonné, et a su les qualifier comme : «incitants à la haine», mais n'a jamais prêté attention aux plaintes ainsi qu'aux menaces que l'on portait à Charlie hebdo quant aux dessins accompagnés de paroles absolument blasphématoires et irrespectueuse vis-à-vis des convictions religieuses des autres. Bien sûr, dira-t-on, Charlie hebdo ne critiquait pas qu'un seul groupe religieux, mais tous. Et notons bien qu'il s'agissait d'un journal anti-raciste, et totalement laïque, qui transformait une situation grave, en humour, car considérait que c'était un moyen d'apaiser les tentions ; qualités que l'on ne peut absolument pas reprocher. Mais c'est tout de même d'un point de vue situationnel que cela posait un problème et que cela constituait une raison supplémentaire ; critiquer un ensemble, ce n'est pas diminuer l'acte en lui-même. Au contraire, en ne prenant pas en compte ce fait, on néglige l'individualité et le caractère sacré que chaque partisan d'une religion accorde à sa croyance. Si un peuple peut être respecté, tous les autres peuvent également l'être. Et ce, qu'il s'agisse du peuple de religion chrétienne, juive, musulmane ou même au niveau ethnique.

     Quant à ce qui a été commis par les terroristes, il n'y a rien de plus critiquable et inqualifiable. Aucun argument aussi puissant soit-il ne pourra justifier le recours à de tels moyens. La froideur et l'absence de morale dans lesquels les victimes ont étés exécutées peuvent légitimement être qualifié d'inhumaines.Ni par la religion, ni par les publications du journal, on pourra les justifier. Ce que l'on peut cependant condamner, c'est l’absence d'action et de discernement de l'Etat.

     La France est un pays laïque, et fondé sur le respect et le droit pour chacun, à posséder et exprimer son opinion librement. C'est pourquoi, en niant cette réalité qui fonde la citoyenneté Française envers Dieudonné, l'Etat, aurait du de manière logique, interdire les agissements de Charlie hebdo. Aussi est-il en partie responsable des événements irrémédiables s'étant produits, qui auraient pu être évités avec plus d'attention et d'égalité. En effet, qui, après avoir observé les conséquences des propos inadmissibles de Dieudonné, qui, rappelons-le, fut agressé à plusieurs reprises, n’aurait pas pu deviner que les publications tout aussi inadmissibles aux yeux de certains concernés, du journal Charlie hebdo, étaient susceptibles d'engendrer de tels agissements ? Sans oublier, en outre le nombre incalculable de menaces de mort desquels il fut victime. En fond, Charlie hebdo aurait pu être Dieudonné, et vice et versa. Cela importe peu, et n'a qu'une seule et unique conséquence : l'Etat a sauvé Dieudonné, et pas Charlie hebdo. C'est pour cette raison qu'il est injuste voir immoral de prétendre «être Charlie», sans n'avoir rien fait au départ, pour éviter que les choses ne se passent comme elles se sont passées. C'est ce qu'exprimait Jean-Paul Sartre lorsqu'il affirmait que : «on est responsable de tout ce que l'on n'essaie pas d'empêcher». On est non-seulement tous responsables, de cette situation de laquelle on hérite sans forcément l'avoir voulue et dont on a à faire quelque chose, mais aussi coupable de n'avoir rien fait pour, au moment voulu. Et puisque l'on a rien fait avant, il n'y a aucun sens à se prétendre, seulement maintenant «Charlie» pour soutenir et se montrer solidaire.

     D'autre part, être libre suppose d'être responsable ; la liberté d'expression que certains disent désormais morte, n'est pas du tout morte: on a juste affaire à l'une de ses conséquences. Lorsque l'on agit, au nom de n'importe quelle valeur que ce soit, on sait absolument que ses actions ont une
Jean-Paul Sartre
répercussion sur l'humanité tout entière, en tant que l'on agit jamais totalement pour soi.C'est pourquoi, agir, consiste également à prendre en compte les conséquences possibles de ses propres actions. Dès lors, lancer une action, c'est reconnaître et accepter son poids quel qu'il soit : c'est ce que Sartre appelle «l'engagement». Ainsi, c'est la liberté d'expression elle-même qui a pris tout son sens avant-hier. Mais il en est également de même pour les agresseurs: peu importe les valeurs pour lesquelles ils ont agis, ils en portent l'entière responsabilité. Quand Sartre affirmait : «je ne puis prendre ma liberté pour but, que si je prend également celle des autres pour but», il n'exprimait pas autre chose que ceci : décréter être libre et agir au nom de cette liberté, est inhérent au fait de la savoir universelle. En d'autres termes, la liberté individuelle est conditionnée par celle des autres, sans qui il n'y aurait pas de sens à être libre. Et cela limite, d'un point de vue moral, l'action des terroristes qui négligent dès lors la liberté des autres, et la possibilité pour eux d'agir en contrepartie.

     Le problème se situe alors dans l'ignorance de la souffrance de l'autre. En décrétant que son acte individuel est libre, sans prendre en compte ses répercussions sur les autres, on devient susceptible d'engendrer la haine et la vengeance chez eux, débouchant elle-même, sur un acte que ces derniers accompliront au nom de cette même liberté. On tombe alors dans l'engrenage infernal de la haine. L'acte commis par les uns, engendrera un acte en réponse, qui lui-même, fera de même. C'est également ainsi qu'apparaît le problème et le risque de l'amalgame ainsi que les généralisations. Les actions commises avant-hier ayant étés commises au nom de l'Islam ; les gens peu réfléchis prendront pour universelle, leur maxime : au risque de penser que tous les musulmans sont de même nature que les terroristes. Alors qu'on le sait, il y a de bons musulmans et de mauvais musulmans, tout comme il y a de bons usages de la république et des mauvais. De même, les dessins du Charlie hebdo étant réalisés au nom de la liberté d'expression, ont étés interprétés autrement par d'autres. Alors être libre moralement, c'est être juste ; une radicalisation de l'égalité s'impose. Sans quoi ce rassemblement des Français n'aura aucun sens. Se lever face à une injustice c'est se contenter de contempler. Sans mesures, on ne parvient à rien. Je ne vois aucun sens à attendre la souffrance pour agir, et enfin voir ce qui nous brûlait déjà les prunelles auparavant. Il a également fallu attendre que cela devienne grave pour intervenir pendant qu'énormément de personnes de religion juive se faisaient exterminer durant la seconde guerre. La souffrance ne devrait guider personne : seul un esprit préventif peut amener l'humanité à changer réellement. Aussi, peut-on comprendre maintenant, pourquoi je refuse d'être Charlie, en tant que je n'ai rien fait ni ne me suis jamais intéressé à ces publications, et que je ne fais rien de significatif dans ma vie non plus, pour lutter contre le racisme et le non-respect des libertés individuelles. Alors si être Charlie, est bien un signe de salut humain et d'amour envers son prochain, je considère que cela ne répare en rien la souffrance, pour les familles, causée par la perte de ses proches. S'il s'agit pour certains, d'une manière d'assumer sa responsabilité, alors je respecte ce choix, mais suis tout de même persuadé qu'il s'agit d'un moyen d'apaiser sa conscience. Je préfère assumer ma responsabilité en n'étant ni Charlie, ni personne, et en réfléchissant au moyen de ne plus parvenir à une situation semblable.

*Je rend évidemment hommage aux victimes de l'attentat, qui, encore une fois et comme les victimes de toutes les guerres, vont devoir payer de leur vie pour que les hommes se décident enfin à agir concrètement.

«Pour triompher, le mal n'a besoin que de l'inaction des gens de bien»

Edmund Burke

«On est responsable de tout ce que l'on essaie pas d'empêcher»

Jean-Paul Sartre


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