La souffrance étouffée des hommes de la classe moyenne

Le sujet de cet article me tient à cœur car j'en rumine le contenu et les idées depuis assez longtemps. Cette réflexion parle de moi et de mes semblables de la classe moyenne qui vivent la même chose.

Lorsque l'on est issu de la classe moyenne, tout se passe comme si l'avenir était incertain. On est ni trop pauvre ni trop riche. On se situe simplement au cœur de la lutte pour la survie sociale avec une propension à l'échec bien plus élevée et forte que les perspectives de réussite. Dans toute cette agitation, c'est du sort des hommes et non des femmes dont je voudrais parler. Il y a, je crois, une réalité pour l'individu masculin de la classe moyenne dont on ne rend pas assez compte. Je veux parler de ce qui repose sur les épaules de cet individu sous prétexte qu'il est un homme et que ces derniers ont les épaules censées supporter n'importe quelle charge et à n'importe quel prix. 

Ce sont les mœurs qui ont apporté cette tradition cruelle qui veut que les hommes ne servent qu'à rapporter de l'argent au foyer et qui les bannissent et les excluent aussitôt qu'ils ne représentent plus aucune ressource financière. « Tu es un homme et tu dois nourrir ta famille », voilà ce que nous apprennent les traditions de la classe moyenne. Et ce n'est pas tant le fait de placer les hommes au cœur des responsabilités que je dénonce mais ce refus d'accorder au genre masculin le droit d'avoir des sentiments et des souffrances, qui en découle. Car en effet, je crois que l'inconscient collectif vis-à-vis de la charge qui pèse sur l'individu masculin s'est installée en ce dernier même. Les hommes sont devenus froids, non pas par nature mais parce que leur éducation est telle qu'ils ont fini par croire qu'il était « normal » pour eux d'ignorer ce qui leur fait mal, de ne rien dire lorsqu'ils n'en peuvent plus. Et cette réalité, beaucoup de femmes l'occultent. 

Aussitôt qu'un homme dit être à bout de souffle, on lui reproche sa faiblesse, son manque de courage et on remet en question sa masculinité. Tout se passe comme si le destin des hommes était par avance tracé et qu'ils n'avaient pas le droit, eux aussi, de prendre le risque de suivre leurs rêves. Lorsque j'ai voulu poursuivre des études de philosophie et que mon rêve de devenir écrivain était à son comble, je ne compte pas le nombre de personnes qui me rétorquaient que les livres n'apportaient rien et ne « remplissaient pas le frigo », exactement comme si ma vie ne devait servir qu'à cela : remplir le frigo, faire des gosses, les nourrir puis mourir. Les hommes doivent très vite produire de l'argent au détriment de ce qu'ils ressentent. Certaines femmes tournent le dos aux hommes qui ont des projets sans argent mais sont présentes lorsque ces projets finissent par payer. Les pères de famille favorisent bien souvent celui de leurs fils qui rapporte le plus d'argent à la maison. Mais quelle est donc la place de celui qui rêve et qui a le courage de s'imaginer un autre destin ?

Les généralités du monde nous laissent croire qu'il n'y a que les femmes qui mènent la vie la plus complexe entre harcèlement, maternité, sexisme et inégalités mais les hommes aussi ont le droit à leur combat. On n'aime simplement pas en parler car la société nous a habitué à garder le silence et à trouver la souffrance masculine répugnante. Si les femmes sont injustement jugées à la taille de leurs attributs sexuels, les hommes eux sont jugées à la quantité d'argent qu'ils rapportent. J'en veux à la société de tourner le dos et de refuser de soutenir ces hommes qui veulent également penser à eux : ne pas se lever tous les matins pour faire ce boulot destructeur physiquement et mentalement simplement parce qu'ils ont une famille à fonder puis à nourrir. J'en veux à cette société de croire que les artistes masculins sont nés avec la richesse que produit leur talent, alors qu'ils ont bien souvent soufferts du mépris des autres lorsqu'ils ne leur apportaient rien. Les hommes ont eux aussi le droit aux rêves, aux larmes et à la joie. 


Commentaires

Anonyme a dit…
C’est un des sujets de sociologie que j’aime tant traiter. Le texte aborde un sujet souvent ignoré dans les discussions sur les inégalités de genre : la souffrance des hommes dans une société patriarcale. Il souligne la pression sociale que les hommes de la classe moyenne subissent pour subvenir aux besoins financiers de leur famille, ainsi que le manque de reconnaissance accordé à leurs sentiments et à leurs souffrances. Cette pression est souvent ignorée ou minimisée dans les débats sur l'égalité de genre, la plupart pensant que seules les femmes puissent être victimes. Je suis en parfait accord avec cette analyse et je trouve qu’il aurait été intéressant (dans un autre article peut-être ?) de pousser la réflexion plus loin notamment sur l’implication des femmes à participer à socialisation patriarcale des hommes puisque comme cela a été brièvement évoqué, la plupart des femmes refusent d'avoir affaire à la souffrance masculine si elle interfère avec la satisfaction du désir féminin. Comme a si bien dit bell hooks, il nous faut mettre en lumière le rôle que les femmes jouent dans la perpétuation et le maintien de la culture patriarcale, afin de pouvoir reconnaître que les femmes et les hommes contribuent de manière égale au système patriarcal, même si les hommes en tirent plus de bénéfices. Il aurait été également intéressant d’ouvrir le questionnement sur les solutions à un tel problème.

Le texte remet parfaitement en question les stéréotypes de genre qui sous-tendent la société patriarcale, qui dictent que les hommes doivent être forts et insensibles, et que leur rôle principal est de subvenir aux besoins financiers de leur famille. En soulignant la souffrance des hommes qui doivent vivre conformément à ces stéréotypes, le texte donne une vision juste et nuancée de la réalité de la condition masculine dans une société patriarcale.

Les normes sociales imposées par le patriarcat ont créé des attentes rigides pour les hommes, qui sont souvent encouragés à adopter des comportements agressifs, à réprimer leurs émotions et à se montrer forts et indépendants. Et malheureusement, ces attentes peuvent (et ont) avoir des conséquences négatives pour les hommes eux-mêmes, les enfermant dans des schémas comportementaux toxiques et les empêchant d'exprimer leur souffrance. Lorsqu'un homme ne répond pas aux attentes patriarcales de la masculinité, il risque d'être stigmatisé et exclu socialement. Non uniquement par ses semblables les hommes, mais également par les femmes ; même des femmes qui arrivent à dénoncer le patriarcat. Cette pression pour se conformer aux normes de la masculinité peut se manifester sous forme de dépression et de suicide parce qu’une vie malheureuse attend certain hommes ayant des rêves non conformes au patriarcat. Mais la société patriarcale ne se préoccupe guère du malheur des hommes. Le silence qui entoure la souffrance émotionnelle des hommes dans une société patriarcale crée une culture toxique qui rend difficile pour les hommes d'admettre qu'ils ont besoin d'aide ou de soutien ; par exemple de nombreux hommes n’oseront jamais demander à leur femme un soutien financier, préférant parfois même accumuler les emplois quitte à se tuer la santé. La mort plutôt que renoncer à l’image que la société se fait d’un « vrai homme ». 1/2

Anonyme a dit…
Comment résoudre un tel problème ? Pour moi, il est important que les hommes remettent en question les normes sociales qui les limitent et les empêchent de vivre pleinement leur humanité. Les hommes doivent se rendre compte que leur souffrance émotionnelle est réelle et qu'ils ont le droit d'exprimer leur vulnérabilité sans être jugés. Cela implique de travailler sur soi-même, de se libérer des idées toxiques sur la masculinité et de trouver des moyens d'exprimer ses émotions de manière saine et constructive.
Egalement, les hommes doivent prendre la responsabilité de lutter contre les injustices et les inégalités qui affectent les femmes et les autres minorités. Cela nécessite une remise en question de la domination masculine et de la violence qui en découle, ainsi qu'une prise de conscience des privilèges dont les hommes bénéficient dans une société patriarcale.

En d’autres termes, les hommes doivent réellement prendre position contre le patriarcat, de façon la plus totale et radicale. Mais combien d'hommes sont prêts ou conscients que les maux qui les touchent ne pourront être résolus qu'en mettant fin au patriarcat ? Et combien vont simplement subir cette pression, s'assurer de remplir leur rôle d'homme en dépit de leur santé et transmettre à leurs fils le même schéma ? Autant dire que le problème n'est pas prêt d'être résolu tant les rôles de genre sont encrés dans la société et l'éducation... 2/2

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