Souviens toi d'oublier.

Toute promesse doit être appréhendée comme un mensonge potentiel, indépendamment de la confiance que l’on accorde d’ordinaire à son auteur. On promet tantôt parce que l’on aime, tantôt pour ne pas faire une chose dans l’immédiat, tantôt par lâcheté et par impuissance. Et il est bien des cas où cette chimère qu’on appelle « vérité » s’avère être introuvable, enfouie dans le tissu de toutes ces projections. On s’aime, mais les disputes et les désaccords s’enchaînent ; on se pardonne et tout semble rentrer dans l’ordre. Pourtant, tout ce tumulte laisse des traces à force d’épuisement. Puis vient le jour où tout s’arrête : les promesses ne tiennent plus car les sentiments ont perdu de leur intensité. Alors on se laisse partir car l’image que l’on s’est préalablement construit autour de l’autre n’est plus celle à laquelle on s’était initialement attaché. La voici fragilisée, effritée, ternie et enlaidie sous le poids des actes et des paroles qui ont redessiné toute une figure, tout un être.  

Les mauvaises paroles nous donnent un nouveau visage qu’aucun acte ne saurait effacer. Elles pénètrent, creusent, imprègnent et nourrissent le ressentiment. Quant aux mauvais actes, ils créent des blessures qu’aucune parole ne saurait résorber ; fut-elle la plus belle excuse, la plus sincère déclaration, ou simplement l’expression la plus habile et littéraire des regrets les plus profonds. De telles conséquences ne trouvent aucune origine dans la rancune ou dans l’orgueil et doivent être appréhendées comme suit : je ne puis redorer ton image en ce que je suis incapable d’effacer ces souvenirs. Un objet détérioré, même remis à neuf, sans possibilité aucune pour un inconnu de connaître son histoire, reste intrinsèquement altéré pour l’individu qui connaît l’histoire qui recouvre sa refonte. Et cette vérité transcende toute apparence, toute manipulation, toute falsification sur l’objet. Je ne puis passer outre car je me souviens, parce que je sais, et que ce souvenir est indélébile. 

Nietzsche écrivait fort justement que nul bonheur, nulle sérénité, nulle espérance, nulle fierté, nulle jouissance de l'instant présent ne pourrait exister sans faculté d'oubli, tout en reconnaissant dans un autre aphorisme que seul ce qui ne cesse de nous faire souffrir reste dans la mémoire. On ne cesse donc jamais de ressasser, et ces souvenirs douloureux dont on veut intimement se débarrasser sont d’autant plus coriaces que cette volonté gagne en puissance. Souviens toi d'oublier, disait la célèbre locution nietzschéenne, convoquant deux notions antinomiques que sont le souvenir et l'oubli. Or, cet acte est vain et ne se présente, au mieux, que comme un aveu d'impuissance face à un souvenir qui me hante. Me souvenir d'oublier, c'est admettre l'existence d'un souvenir que je repousse ; c'est admettre ma faiblesse et mon tourment. Ce n’est donc pas tant qu’on a du mal à oublier mais qu’il est vain de lutter contre une mémoire qui a fait sa place. En cela, le pardon n’est pas un oubli, mais la volonté de maintenir une relation avec un individu dont l’image est pourtant irrémédiablement détériorée.

Commentaires

SK a dit…
Quelle belle vérité que celle-ci, si seulement on pouvait tout oublier…
Cependant heureusement que certains nous acceptent entiers, avec nos erreurs, malgré notre « statut » d’objet remis à neuf. Ils embrassent notre personne, sachant que l’on ai fait des erreurs, car non seulement ils nous aiment comme nous sommes, avec nos imperfections que nous essayons de surmonter, mais aussi car ils savent qu’ils ne sont eux mêmes pas exempt d’imperfections. Cela rend humble. Cette forme d’amour est la plus vraie, la plus authentique et c’est une fois qu’on la connaît que cela nous permet d’accepter l’autre tel qu’il est, même si parfois il est nécessaire de provoquer un électrochoc chez l’autre pour remettre les compteurs à 0…
Anonyme a dit…
Texte particulièrement touchant, emprunt d’une vision assez cynique des promesses et des relations humaines en général… il est vrai que les promesses peuvent être brisées pour diverses raisons, mais est-ce pour autant que cela signifie qu’il faille considérer toute promesse comme mensonge potentiel ?
Peut-on dire que chaque relation humaine, quelle soit amicale ou amoureuse, nécessite implicitement le fait de faire une promesse ? Dans le sens où, être dans une relation revient à s’engager d’agir d’une certaine manière. Par exemple, être dans une relation amicale ou amoureuse implique d’être loyale, de faire preuve de respect envers l’ami ou l’aimé. Sous cet angle, entrer dans une relation s’apparente en quelque sorte à faire une promesse de toujours bien se comporter afin de ne pas ternir la relation et prendre le risque que celle-ci se termine. Pour moi, les relations humaines sont des promesses implicites, alors n’est-ce pas un peu pessimiste de penser qu’une promesse est forcément un mensonge potentiel ? Un mensonge est intentionnel, l’intention étant de tromper ou manipuler, dissimuler la vérité. Or, il se peut que l’on prenne une promesse très au sérieux, que celle-ci nous tienne à cœur mais que l’on échoue tout de même à la respecter. Doit-on être considéré comme un menteur pour autant ?
A mon sens, il est erroné de dénaturer les promesses de toute valeur car même si elles ne sont pas toujours tenues, elles sont importantes pour la confiance et la stabilité des relations humaines. Également, elles servent de guide pour les actions et décisions futures.

Par ailleurs, la notion selon laquelle les mauvaises paroles et les mauvais actes ne peuvent pas être effacés complètement n’est-elle pas quelque peu extrême ? Il est vrai que ces actions peuvent avoir des conséquences durables, mais il est également vrai que les personnes peuvent changer et évoluer au fil du temps. Les excuses et la réparation peuvent être des moyens importants de guérir les blessures causées par des mots ou des actes négatifs, et peuvent permettre à une relation de se rétablir et de devenir plus forte. Si nous sommes capables de reconnaître et de remédier à nos erreurs passées, nous pouvons aider à réparer les relations brisées et à aller de l'avant.
Si l’on adopte une vision sartrienne, le pardon implique de prendre la responsabilité de ses propres actes et de chercher à réparer les torts causés… et si l’on voit un peu plus loin en prenant Sartre et sa question de l'altérité, c'est-à-dire la reconnaissance de l'autre en tant qu'être indépendant et unique ; le pardon pourrait être vu comme une reconnaissance de l'existence et de la valeur de l'autre, même si celui-ci a commis des actes qui ont causé de la souffrance.

Il peut-être tout à fait utile de rappeler que le pardon n'est pas un processus facile ou rapide, mais plutôt un processus complexe qui peut prendre du temps et nécessiter de la réflexion et du travail sur soi. Entendre la vérité après un mensonge et une trahison ne facilite pas nécessairement le pardon. Pour moi, le comportement et les actes posés ultérieurement peuvent être d’une efficacité plus grande.

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