Sempiternelle Mélodie
Il pleut sur la ville ce soir.
J’ai toujours voulu voir en la pluie des vertus expiatrices des pires péchés, et réparatrices des pires maux. Aussi je les prends, elle ainsi que le ciel du Val d’Oise, comme seuls témoins de cette note à l’amour.
Je sens les fantômes m’observer avec insistance ; et je n’ai de cesse de m’éblouir à la lueur de leurs yeux brillants : comme ceux d’un pyromane qui observerait un feu ardent.
Tu as trouvé une lueur en moi que j’avais perdu de vue, rendant chaque adieu, la distance et le recul pris toujours moins supportables. Et à chaque fois que le soleil se couche, que la nuit tombe et que la solitude entre chez moi, je n’ai de cesse de me souvenir de ces évènements qui échappent à mes mots.
Une fois le voile de l’amour retiré de force, la mémoire n’est guère plus qu’un instrument de torture. On ne sait jamais réellement pourquoi, et pourtant, on se lance : persuadé que l’amour en vaut toujours la peine. Si les souvenirs altérés par les erreurs et la tristesse paraissent aujourd’hui factices, je ne puis toutefois douter de l’authenticité des sentiments vécus.
Si les gestes trompent, les intentions rétablissent la vérité. Elles en disent plus de nous qu’une parole, qu’une humeur, ou même qu’une rose dont le vent a jonché de ses pétales, le sol humide de la ville.
Tu étais où je voulais être.
Cette lueur retrouvée m’a guidée vers une autre lueur que je me suis empressé de suivre. Et bien qu’elle soit devenue flamme, je ne la laisserai pas mourir : rien, pas même la pluie diluvienne de ce soir ne pourra l’éteindre.
Si la mémoire rejoue des souvenirs dramatiques et traumatiques, elle sait tout aussi bien rejouer des airs familiers, des chansons et des rythmiques renvoyant à des moments d’ivresse et de joie. A chaque époque sa musique et son rythme ; à chaque époque son petit brin de folie. Avec ce morceau enivrant, défile le souvenir d’un instant de bien-être, sous le soleil de la ville, main dans la main, dégustant la journée avec la certitude que demain sera plus délicieux encore.
Hélas, le passé semble toujours imbibé de la nostalgie d’une époque trop délaissée, d’un instant insuffisamment apprécié ou d’une minute dont on n’a pas su jauger l’importance. Et en observant cette photo sur laquelle je me trouve si joyeux, comblé par cette époque aujourd'hui révolue, ce qui me manque n'est peut-être pas seulement un rythme de vie, un lieu, une ambiance, ou encore quelqu’un, mais aussi le sentiment de l’avoir pleinement vécue. Cet aigre sentiment qui ne laisse derrière lui que l’amertume d’être allé à un endroit sans y avoir été présent. J’en déduis qu’on ne vit jamais deux fois une expérience à l'identique car on ne s'y investit jamais tout à fait d'une manière nous permettant de ne pas regretter l'époque à laquelle elle appartient.
Je fais souvent ce rêve elliptique où je te vois, des années plus tard, plus vieille. Le poids des années, venu se déposer sur ton corps, rend ton visage plus assuré et tes traits plus forts. Ce visage n’est plus celui de l’insouciance d’antan, mais celui que nous laissent les aléas de la vie. Fût-il lourd, ce poids n’enlève néanmoins rien à ta beauté et vient au contraire la sublimer. J'entends notre musique retentir en fond et, le temps d’un instant, je suis replongé dans la joie de cette fameuse journée d’été ensoleillée et toute son ivresse. J’aurais préféré être sobre et réaliser que l’indéfectible pouvait être éphémère.
L’ivresse ne laisse au coupable que des questions.
Alors,
quand tu te lèveras le matin et joueras cette chanson ; quand tu prendras
le volant, te brancheras sur cette chaîne de radio et qu’elle passera encore, quand tu te
marieras et qu’elle sera de nouveau jouée : penseras-tu à moi ? Prononceras-tu,
ne fut-ce que dans ta tête, au moins une fois mon nom sur cet air ? Je sens en mon cœur comme un refus de n'être qu'un souvenir, un flash dont l'éclat et ses effets ne durent qu'un instant. Qu'aurais-je finalement été pour toi ?
Une part de moi-même est morte au cours de ce voyage, et pourtant je comprends aujourd’hui une chose qui vaut plus que tout l’espoir du monde. On s’observe marcher les yeux plissés, aveuglé par la pluie, terrassé par le vent qui souffle, ébranlé par le temps qui passe, mais un beau jour, ces mêmes yeux se plissent pour d’autres raisons. La pluie s’en est finalement allée.
Commentaires
Certains sentiments comme le regret et la tristesse ont parfois besoin d'être mis sur papier afin d'être évacués, c'est le sens de la métaphore de la pluie dans mon texte : comme un purificateur, un exutoire. Et il est vrai, comme vous le dites, que le présent et l'avenir sont des perspectives qui, dans leur grande instabilité, peuvent néanmoins laisser entrevoir un bonheur : d'où l'importance que la pluie s'en aille en fin de texte. Quant à la question de prendre les belles choses que la vie a à offrir, vous avez raison, à condition, je pense, de savoir prendre le temps de réapprendre à apprécier, de rééduquer ce goût.
Merci encore.